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Intérêts cachés et laboratoire pharmaceutique : un cas d’école

Dans ce billet, mon objectif est d’exposer un cas d’école d’intérêts cachés et de manipulation d’opinion.

Un peu de contexte pour commencer. Le 18 mars 2018, 124 professionnels de santé signent, dans le Figaro, une tribune qui a pour objectif d’alerter le public sur les médecines dites "alternatives", entre autre l’homéopathie 1.

Suite à cette tribune, de nombreux patients ainsi que des médecins homéopathes se sont indignés et ont réagi de manière vive. Du côté des patients, il est prétendu que ces médecins n’ont qu’un objectif financier en tête et qu’ils seraient en réalité des vendus à l’industrie pharmaceutique.

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Une réaction, parmi tant d'autres, à la tribune FakeMed

Du côté des médecins, des syndicats d’homéopathes menacent de porter plainte pour non-confraternité envers les signataires de la tribune. Cette menace a, depuis, été mise à exécution.

Avance rapide : Nous sommes le 22 Décembre 2018 et deux événements, plus ou moins parallèles, attirent mon attention. D’une part, le jugement de la Chambre Disciplinaire de Première Instance de la plainte en non-confraternité contre deux signataire de la tribune #FakeMed est rendu. Je reviendrais sur cet événement à la fin de mon billet. D’autre part un tweet de «Collectif SafeMed» est publié.

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Tweet du Collectif SafeMed

Ce tweet a attiré mon attention. Il est étonnant pour deux raisons, d’une part par le fond, d’autre part par sa forme. Par le fond, car il relate des faits erronés. En effet le tweet indique que c’est le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) qui traduit ces médecins en chambre disciplinaire, une information que le vice président du CNOM lui-même dément 2. D’autre part, par sa forme. En effet, l’image du médecin se tenant les cheveux, comme s’il avait quelque chose à se reprocher, la référence à #PubMed (dont on se demande bien ce qu'elle vient faire là) et le vocabulaire semble étrange. D'autre part, le billet de blog accompagnant ce tweet a l’air peu objectif. J'ai donc décidé d'en savoir un peu plus sur ce Collectif SafeMed.

Sur le site web du collectif, on apprend qu’il s’agit d’une association regroupant patients, médecins, et professionnels de santé, qui promeut la «médecine de demain», la «médecine intégrative». Le but auto-proclamé de cette association est :
  • La promotion de cette médecine intégrative.
  • La défense de ceux qui assurent cette promotion.
On lit également qu’elle se refuse tout lien avec des intérêts privés et affirme sa totale indépendance.

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Déclaration d'absence de lien avec des intérêts privés du Collectif SafeMed

Enfin, on lit les noms du bureau de ce collectif. Je me suis permis de surligner le nom du Dr. Antoine Demonceaux, car il s’agit d’un personnage intéressant, comme nous allons le voir ci-après.

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Bureau du Collectif SafeMed

Je me permets maintenant de développer pourquoi j’ai prétendu que le Dr Antoine Demonceaux était intéressant.
Tout d’abord, en allant voir la base transparence.sante.gouv.fr, on note quelques transactions financières, principalement par le laboratoire Boiron, leader mondial de l’homéopathie. En soi, rien de très surprenant, quelque repas tout au plus. Pour un médecin fervent défenseur de l’homéopathie, comme le montre son blog 3, cela ne semble pas étonnant et jusque-là, donc, tout va bien.

Là où ça devient intéressant, c’est quand on remarque que ce monsieur est gérant de l’entreprise CEDH Sarl (et plus précisément dans le rôle de directeur commercial/marketing). Le CEDH est le «Centre d’Enseignement et de Développement de l’Homéopathie», un organisme qui forme à la pratique de l’homéopathie.

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CEDH Sarl

Là où ça devient ENCORE plus intéressant, c’est quand on sait que le CEDH est en réalité une filiale de Boiron, ce qui est d’ailleurs indiqué dans les mentions légales du site du CEDH 4 (ndlr : Depuis la publication de ce billet, la page a disparue, mais on retrouve la mention dans la section RGPD de la CEDH : https://www.cedh.org/gdpr). La base transparence.sante.gouv.fr révèle cette fois les torrents d’argents que Boiron déverse dans le CEDH.

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Versements de Boiron vers le CEDH

Entre Janvier 2017 et Mai 2018, et si je compte bien, 3.305.200€ ont été versés au compte du CEDH. Pour remettre cette somme dans le contexte du bilan financier du CEDH, il s’agit d’un ordre de grandeur presque équivalent au CA du CEDH. D’autre part, lorsqu’on voit que le résultat net du CEDH est de 20.000€, on ne peut s’empêcher de se demander où passe tout cet argent. Sans surprise, pour un organisme de formation, les charges salariales correspondent à environ la moitié du CA 5. Quid du salaire du directeur marketing ? Quid de l'absence totale de lien avec des intérêts privés ? Quid de l'indépendance totale ?

Au début de ce billet, je mentionnais qu’hier avait eu lieu le jugement de la plainte en non-confraternité de deux signataires de la tribune #FakeMed. Vous vous demandez sans doute pourquoi je mentionnais cet événement ? Eh bien il s’avère que le plaignant est justement le Dr. Antoine Demonceaux. (cf tweet suivant 6). Il s’avère également qu’il connait et a discuté avec l’un des assesseurs, c'est à dire un juge, de la chambre disciplinare : le Dr. Ducreux. Nous rappellerons au lecteur que Dr. Ducreux est le président régional de la Société Française de Mésothérapie … une autre pratique alternative dénoncée par la tribune #FakeMed ! Sans aucune surprise la décision de la chambre disciplinaire n’est pas allée dans le sens des signataires de la tribune #FakeMed.

Le conflit d’intérêts semble énorme. Heureusement, le Conseil National de l’Ordre des Médecins a entendu la grogne montante vis-à-vis de cette situation et a décidé de faire appel sur la décision de la CDPI 7. Malgré cette décision remarquable, il n’en reste pas moins en bouche le goût amer de l’impression de se faire mener en bateau par des hommes qui n’ont aucune honte à manipuler l’opinion et à aller à l’encontre de toutes les règles de déontologie.

Rappelons tout de même que le Dr. Antoine Demonceaux, gérant d’une filiale de l’entreprise Boiron, ose prétendre sur le site du Collectif SafeMed, dont il est le président, que le collectif refuse tout lien avec des intérêts privés.

Mais de qui se moque-t-on ?!